À la création de L.I.R.E à Paris en 1999, les lectrices (l’équipe était exclusivement féminine) ont eu la chance de bénéficier d’un grand nombre de formations sur la lecture à voix haute, le développement de l’enfant, la littérature jeunesse. Ces formations étaient essentiellement assurées par des membres de l’association ACCES.
Élisabeth Bergeron (institutrice de formation) qui était chargée d’organiser les formations à L.I.R.E à Paris, avait le souci de varier les thématiques. Elle a proposé aux lectrices des rencontres autour du patrimoine oral chanté avec une musicologue. L’objectif était de sortir de la lecture pure et d’expérimenter le chant, la comptine, les jeux de doigts et autres jeux de nourrice. Les lectrices ont alors découvert que le chant a la particularité de faire ressurgir l’enfance de la mère qui accompagne l’enfant, de faciliter la rencontre avec les tout petits, de jeter des ponts interculturels.
Conscientes de ces qualités, les lectrices se sont mises à chercher, dans leur fonds de livres, ceux qui pourraient contenir une comptine cachée. C’est ainsi qu’elles ont trouvé un air entrainant pour accompagner l’album La chasse à l’ours (Michael Rosen / Helen Oxenbury – éditions L’école des loisirs), une ritournelle plus douce pour Chuuut ! (Minfong Ho / Holly Meade – éditions Père Castor Flammarion) et qu’elles ont eu envie de chanter Bateau sur l’eau en montrant l’imagier Blanc sur noir (Tana Hoban – éditions Kaléidoscope) aux bébés. Les lectrices ont pu remarquer que cela apportait un plus, une écoute des bébés, un effet apaisant et fédérateur et une envie des parents de chanter également et ce quel que soit la culture.
Malgré ces formations, les lectrices ne se sont pas autorisées à chanter ou à proposer des jeux de doigts car elles devaient assurer la légitimité de ce travail novateur, peu connu à l’époque, avec le risque que les professionnel.le.s des structures accueillantes les entrainent dans le chant et que le livre soit mis de côté.
Avec l’arrivée des albums de comptines de la collection Pirouette (éditions Didier Jeunesse) dans les fonds de livres de l’association, ces questions ne se posaient plus, le livre légitimait la pratique du chant. Une période d’euphorie a alors commencé : tous les albums de comptines ont été acheté, tellement ravi de pouvoir enfin emplir les salles d’attentes de chants. Au point de manquer peut-être un peu de discernement, puisque l’association a aussi acheté tous les albums de la collection Guinguette (éditions Didier Jeunesse), bien moins adaptés, comme par exemple L’aigle noir de Barbara.
Avec ces livres comptines, ce métier de lectrice/lecteur (depuis quelques années, l’équipe est mixte) a pris une nouvelle dimension et a facilité le rapport avec les parents qui pensent que leur bébé est trop jeune ou qu’il ne va pas comprendre. Ces albums peuvent servir d’accroche, d’entrer en relation plus simplement qu’avec une histoire et notamment avec les familles allophones…
Certain(e)s professionnel.le.s se sont alors demandé pourquoi utiliser des albums pour chanter ! L’illustration ne risquait-elle pas de brider l’imaginaire de l’enfant, de se substituer aux images mentales de chacun ?
Mais l’exemple du livre comptine La mère Michel (Charlotte Mollet – éditions Didier Jeunesse) montre au contraire que l’image enrichit la comptine et lui apporte une nouvelle interprétation moins cruelle ! Si l’on regarde bien les illustrations, on trouve à chaque page le chat qui se cache de la Mère Michel, on le retrouve dans la poche du tablier du Père Lustucru puis caché derrière son dos et enfin bras dessus bras dessous…
L’utilisation de ces livres ne change rien à la pratique de lecture de L.I.R.E à Paris : les enfants sont libres de les choisir, de les manipuler, de tourner les pages très vite, de les fermer en pleine lecture chantée…
À présent que l’action est bien installée sur les terrains, qu’une relation de confiance est instaurée avec les équipes partenaires, les lectrices/lecteurs s’autorisent à chanter, avec ou sans le livre, et de nouvelles possibilités émergent, en fonction des situations rencontrées et des livres à disposition.
Avec l’arrivée de Frère Jacques (Christophe Alline – éditions Didier Jeunesse), les lectrices/lecteurs voient régulièrement des parents s’autoriser à chanter la célèbre comptine dans leur langue. Le chant sort du livre, mais c’est le livre, parce qu’il est multilingue et qu’il contient une comptine qui a beaucoup voyagé, qui ouvre cette possibilité.
Nous terminerons par l’album de Corinne Dreyfuss, Pomme pomme pomme (éditionsThierry Magnier) qui fait partie des albums coup de cœur de L.I.R.E à Paris et avec lequel il a été possible de renouer avec la pratique de l’avant livre comptine : chanter sur un livre qui n’est pas spécialement prévu pour mais qui s’y prête particulièrement avec cette double page du texte blanc sur fond noir. En le découvrant, chanter a semblé une évidence !
Christelle Haussin et Chloé Séguret, lectrice formatrice à L.I.R.E à Paris
Un texte plus complet est à découvrir dans le livre Lire en chantant des albums de comptines, sous la direction de Sylvie Rayna, Chloé Séguret et Céline Touchard – érès éditions.