Est-ce une bonne idée de lire avec les enfants des histoires qui font peur ?
De plus en plus, les éducateurs s’inquiètent de l’effet délétère de la peur sur le développement de l’enfant et s’interrogent sur les livres qui montrent des loups, des sorcières et autres monstres.
En effet, les connaissances nouvelles sur le développement de l’enfant, et en particulier les neurosciences, pointent les conséquences de la peur sur le cerveau des tout-petits.
Parallèlement, les enfants continuent de choisir ces livres dans les bacs, et les adultes eux-mêmes ont souvent le souvenir d’avoir écouté ce genre d’histoire dans leur enfance, sans que cela n’ait posé de problème à long terme.
Alors, les livres qui font peur, bons ou mauvais pour les enfants ?
Pourquoi les enfants sont-ils si friands d’histoires qui font peur ?
Les enfants vivent des choses inquiétantes, ils connaissent naturellement les angoisses de mort, de séparation, de dévoration. Tout cela fait partie de leur développement normal.
Y compris quand cela s’accompagne de cauchemars qui sont compliqués à gérer pour les parents, fatigants pour toute la famille, mais qui n’ont rien d’anormal.
Les livres peuvent donc accompagner les enfants (et leur entourage) dans cette période.
Ils permettent au petit lecteur de mettre des mots et des images sur ces peurs.
Et les nommer, c’est déjà un peu les apprivoiser, bientôt les surmonter.
Il n’est pas rare que l’enfant, justement sujet à de nombreux cauchemars, réclame en boucle le livre qui y fait échos.
Les parents sont alors parfois tentés de le censurer, espérant ainsi retrouver des nuits plus sereines.
Malheureusement, les choses ne sont pas si simples, et si le livre est écarté du quotidien de l’enfant, la peur, elle, reste là, et peut continuer à réveiller toute la famille encore longtemps.
Au contraire, en laissant l’enfant manipuler l’album librement, l’écouter, mais aussi bien sûr le refermer s’il en a envie, on peut l’aider à surmonter cette frayeur qui ne le lâche pas.
Comment lire ces albums ?
La question est bien alors celle de la pratique de lecture et de la liberté que l’on offre à l’enfant dans ces moments-là.
Bien sûr, une histoire dont l’enfant serait captif, qu’il n’aurait pas choisie et qui lui serait imposée peut créer des peurs excessives et non souhaitées.
Chaque enfant a un seuil de tolérance à ces histoires qui lui est propre. Nous avons tous en tête des exemples de petits particulièrement inquiets face à des livres qui pourtant nous semblent anodins, avec notre regard d’adulte.
D’autres, à l’inverse, réclament avec insistance des histoires de monstres et attendent de l’adulte qu’il fasse une voix bien effrayante pour mieux jouer le méchant.
Il en va de notre professionnalisme de respecter le besoin de lecture de chaque enfant, sans jamais imposer un livre, et en le laissant maître de la lecture. S’il veut tourner plusieurs pages d’un coup, pour aller plus vite au passage rassurant ou écouter de loin, en faisant autre chose, respectons ses besoins. C’est uniquement ainsi que le livre est rassurant.
L’observation de l’enfant, clé de la lecture adaptée.
Lire avec des enfants, c’est sans cesse les observer et s’adapter à eux. Sans même en avoir conscience, on adopte un ton plus doux avec un bambin qui se blottit dans nos bras, ou qui serre son doudou contre lui, alors que l’enfant qui semble tout à fait rassuré nous incitera à faire des voix plus fortes, à mimer un peu les personnages, à accélérer le rythme.
L’enfant est le chef d’orchestre des moments de lectures, il nous guide vers la bonne pratique, c’est-à-dire celle qui est adaptée à ce moment-là, pour cet enfant-là.
Parfois on doute, et il est alors tout à fait permis de poser la question à l’enfant « tu veux qu’on continue ? Ça va, tu n’as pas peur ? » Après tout, rien n’impose jamais qu’on termine le livre, si l’enfant ne le souhaite pas. Et si un passage rassurant fait du bien à l’enfant, pourquoi se priver de le relire ?
Des livres qui se finissent bien.
Cependant, quand on va jusqu’au bout de l’histoire, le petit lecteur y trouve une nouvelle source de réassurance. Les albums pour les jeunes enfants se terminent toujours bien, et c’est important qu’ils l’expérimentent. Les petits héros de papier affrontent bien des difficultés mais ils les surmontent et retrouvent une situation d’équilibre.
Les méchants sont terrassés, les monstres disparaissent, le personnage en sort grandit.
Si l’enfant, inquiet, ne veut pas aller jusqu’au bout de la lecture, on peut se contenter de lui signaler que l’histoire se termine bien et qu’on peut lui lire une autre fois s’il en a envie. C’est à lui de décider à quel moment il sera prêt à écouter l’histoire en entier, et si cela ne vient pas, ce n’est pas grave, cela montre qu’il connaît ses limites.
En conclusion
Finalement, on constate sur le terrain que lorsqu’on lit des livres « qui font peur » aux enfants il n’est en réalité pas question de leur faire peur.
Au contraire, il s’agit de rassurer les enfants, en leur montrant qu’ils sont capables d’affronter les loups et autres monstres.
Les enfants jouent avec ces livres, ils se montrent plus forts que le prédateur, puisqu’ils ont eux, le pouvoir de l’enfermer dans le livre et de le faire disparaître. Ils se savent en sécurité quand ils écoutent une histoire, rassuré par la présence d’un adulte bienveillant et attentif.
Et s’ils ont réellement peur et ne souhaitent pas qu’on leur lise le livre, il est impératif de respecter leur choix.
Plus tard, peut-être, y reviendront-ils ?
Ce sont eux qui savent le mieux quels livres leur conviennent.
Pour ceux qui souhaitent approfondir la réflexion sur ce sujet et découvrir une sélection d’albums adaptée, vous pouvez vous inscrire à notre formation Qui a peur des albums?
Chloé Seguret, lectrice formatrice de L.I.R.E.