Bonjour Lucie Félix, un grand merci de répondre favorablement à notre interview.
Avec plaisir !
Pouvez-vous nous parler de votre parcours. Sur votre blog vous le présentez brièvement, comment êtes-vous passée d’un diplôme de biologie au métier d’auteure, illustratrice ?
J’ai toujours su que j’étais plutôt faite pour le domaine artistique, mais dans ma famille, personne n’était artiste. Mes parents n’étaient pas contre, mais ça ne faisait tout simplement pas partie du paysage. J’ai adoré mes études de bio, surtout pour la découverte de la démarche scientifique. Mais quand il a été question de faire une thèse, avec au bout certainement des années de post-doc, j’ai tout de même tenté une école. Je pensais plutôt passer ce concours pour ne rien regretter au moment de me lancer en thèse, mais quand j’ai été prise, je n’ai pas hésité !
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire des albums jeunesses ?
La découverte des livres de Komagata, de Tana Hoban, de Iela et Enzo Mari et bien sûr de Munari. J’ai adoré ce langage très conceptuel mais pourtant très concret, et la douceur de leur propos.
A l’association L.I.R.E. nous avons découvert avec beaucoup de plaisir votre premier album édité chez les Grandes personnes – Deux yeux – qui suscite de l’émerveillement chez les jeunes lecteurs et leurs parents. Depuis nous suivons avec attention vos parutions.
MERCI !!!
La question du « lire ensemble », du « lire avec » les jeunes enfants et les adultes est au cœur de nos actions, pensez-vous que ces moments de lecture partagée participent à la construction des relations enfants – adultes ?
Oui c’est une conception que je partage complètement avec vous. D’ailleurs, plus le temps passe, plus je conçois mes livres comme des « moments » partagés entre un enfant et un adulte, ou avec un autre enfant d’ailleurs (par exemple COUCOU). Les séances d’atelier passées avec les classes, puis ensuite la découverte de la parentalité, m’ont permis de redécouvrir (j’avais oublié depuis ma propre enfance) à quel point les enfants sont vulnérables, et combien ils investissent les relations avec les adultes. Je garde comme priorité de me mettre toujours du côté des enfants dans la conception de mes livres, mais en pensant à l’adulte qui va leur amener. En tous cas, le livre offre une opportunité exceptionnelle de réfléchir au rôle de l’adulte auprès des enfants. Pour ma part, lire avec mes enfants est une part immense de la construction de notre relation. Il n’y évidemment pas que ça, mais quel plaisir de discuter d’un livre ensemble, de donner nos avis, puis d’extrapoler… La notion d’esprit critique est aussi capitale pour moi, et je leur propose toujours de dire ce qui ne leur plaît pas dans un livre, et pourquoi. C’est aussi pour ça que j’essaie de leur montrer une grande diversité de style.
Il y a aussi une notion qui me vient des neurosciences, celle de l’attention partagée, qui consiste à orienter l’attention de l’enfant vers ce qui est important et qui est si bonne pour les apprentissages (concentration, mémorisation, compréhension…).
Et puis l’idée du respect de l’enfance, de la vulnérabilité. Passer du temps tout près d’eux, accorder de l’attention, rigoler, s’émouvoir… Je pense que cela peut aussi beaucoup donner confiance en eux-même aux parents : voir que ça marche, que notre enfant nous écoute, s’intéresse…
Photos – Sandra Pecego
Et réfléchir ! Devenir une « grande personne » (oui j’adore ce nom!!) c’est aussi réapprendre le monde pour le transmettre. Personnellement, j’ai trouvé un regain de curiosité fulgurant en devenant mère ou en travaillant avec les petits des écoles. J’ai approfondi des notions parce que la perspective d’en discuter avec les enfants relevait énormément le niveau d’exigence ! Donc, oui je trouve que le livre est lieu privilégié pour réfléchir au rôle d’un adulte. Peut-être cela passe-t-il par accepter de revisiter notre propre enfance, ce qui parfois est en partie douloureux, avec la lucidité d’un regard d’adulte ? De nous reconnecter avec l’enfant que nous avons été ? Lire un livre pour enfant, pour moi c’est souvent ça. Les livres pour enfants me semblent très important dans la construction d’une relation enfant-parent.
Quelles sont vos sources d’inspirations/vos muses ?
Je garde un amour d’enfant pour Matisse, toute son œuvre. C’est ma première découverte plastique, et toujours une merveille. Ensuite, Munari, Komagata, Hoban et le couple Mari. Plus tard j’ai aussi beaucoup aimé découvrir, Paul Cox, Claire Dé et Hervé Tullet.
Pourriez-vous nous parler de votre dernier livre Hariki édité chez les Grandes Personnes. Il semble faire le lien avec votre premier diplôme de biologie ?
C’est en effet un livre qui est un récit fantaisiste d’un certain stade de l’histoire de la Vie. A un moment, des cellules ont été ingérées par d’autres, s’y sont trouvé bien, et y sont restées, pour créer des être nouveaux. De ces épisodes découlent tout le socle de notre classification actuelle des êtres vivants. J’avais adoré cette histoire, et comme le discours scientifique n’est clairement pas une évidence pour tout le monde (créationnisme, terre plate etc…), je trouvais bien d’y sensibiliser les tout-petits. La réalité des cellules est parfois difficile a expliquer, la notion de la grande variabilité du vivant, de son caractère mouvant, est aussi capitale je trouve.
Pour vous, qu’est-ce qu’un bon livre jeunesse ? Que cherchez-vous à “transmettre” dans vos albums ?
Personnellement, je recherche exactement la même chose dans un livre jeunesse que dans un livre pour moi-même, un langage, un point de vue qui va me surprendre, une réflexion nouvelle… Quelque chose qui m’aide a rentrer dans la complexité des choses, me faire prendre conscience d’un nouvel aspect du réel, ou mieux encore, qui me fera changer d’avis !
En tant qu’autrice, je suis très touchée par les enfants, je l’ai déjà dit plus haut, et je souhaite vraiment susciter en eux la curiosité, le plaisir de la réflexion, et faciliter un beau moment entre eux et une personne qui les aime.
Depuis Deux yeux vous écrivez et illustrez vos albums. Envisagez-vous une collaboration avec un auteur ou illustrateur ou est-ce un choix de votre part de travailler seule ?
Ce n’est pas facile du tout pour moi de travailler à plusieurs sur un livre. J’aime beaucoup travailler avec d’autres. Pour le spectacle créé avec Mateja Bizjak par exemple, pas de problème, tout se fait en même temps et nous collaborons à chaque étape. Mais pour mes livres, le fond et la forme sont en général très imbriqués. L’idée d’histoire vient souvent d’une idée d’un dispositif, d’un type de manipulation impliquée par une certaine forme d’objet-livre, donc difficile pour une autre personne de se glisser dans ce processus… Et à l’inverse, parfois je reçois des textes très bien, mais je ne vois pas ce que je peux leur apporter. L’ensemble est déjà trop abouti pour que je puisse introduire ma manière de travailler. C’est la seule raison.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
L’idée générale est celle du découpage et du bricolage. Mais pour gagner du temps, j’utilise beaucoup l’infographie, pour faire des centaines d’essais très vite ! A différents moments, je fais des maquettes que je laisse traîner à la maison, que je montre dans des ateliers, pour voir ce que les enfants en font.
Pourriez-vous nous dire un mot sur vos projets, prochains ouvrages ?
Je travaille en ce moment avec Les Doigts Qui Rêvent à un projet qui implique plein de monde, en particulier Solène Négrerie la designer de la maison, Danyelle Valente qui est psychologue à l’université de Genève et de Lyon, mon frère Damien Félix qui est musicien, pour faire un livre pour les enfants aveugles, et qui fonctionne sur le même principe que la Promenade de Petit Bonhomme. C’est une vraie découverte, vraiment passionnant pour moi.
J’ai aussi un nouveau livre qui devrait sortir à l’automne prochain (chez les Grandes Personnes évidemment), qui découle de tout le travail expérimental réalisé avec Mateja Bizjak, les artistes Caroline Chaudré et Max Lance, et l’éducatrice de jeunes enfants Brigitte Bougeard, pendant la création de notre spectacle KUKU. C’est un imagier qui s’inscrira plutôt dans la veine COUCOU, un livre pour les tout-petits qui implique du mouvement.
Et pour finir quels livres ont marqué votre enfance ?
Je n’ai pas immédiatement un livre qui me revient… J’ai grandi dans un village très perdu, donc pas de bibliothèque. Et à l’école, j’ai eu une enseignante un peu particulière, dans une classe unique ou je suis restée de 5 à 10 ans, et qui, même si je n’en ai jamais parlé avec elle, ne devait pas avoir la plus haute estime pour la littérature jeunesse, point de vue que l’on rencontre encore ! Les enfants étaient traités comme de petits adultes. Je me souviens avoir appris le Dormeur du Val, Nuits et Brouillard, L’auvergnat et autres œuvres superbes mais un peu traumatisantes… En revanche, je suis vraiment passée à côté de l’école des Loisirs, du père Castor etc … Je me souviens très bien qu’elle m’avait fait lire Le Hobbit. J’avais beaucoup aimé, mais je me souviens que j’avais peur. A la maison nos parents nous lisaient tous les soirs une histoire, et pour rejoindre ce que je disais plus haut, c’est surtout ces moments géniaux qui m’ont laissés un beau souvenir, avant les livres eux-mêmes ! Nous étions abonnés à Mes Belles Histoires, et nous avions aussi beaucoup de Mr Mme de Hargreaves, et des livres de contes. Mais je pense que ceux qui m’ont laissé les plus beaux souvenir étaient Boucle d’Or illustré par Jan Brett, et la Gloire de mon père !
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, ce sera un grand plaisir de vous publier dans notre toute récente rubrique « Rencontre avec »
Merci à vous !
Retrouvez notre article au sujet de l’album Coucou ici.
Propos recueillis par Céline Mizier