Nous avons l’habitude d’expliquer, dans nos formations sur l’album, que l’histoire ne naît ni de l’image ni du texte mais de la rencontre entre les deux.
Nous en avons un parfait exemple avec l’ouvrage Le livre du livre du livre, écrit par Julien Baer, illustré par Simon Bailly et édité par Helium.
C’est au premier regard un album classique, cartonné, au format à la française. L’image de couverture peut déjà susciter l’étonnement : étrange cette juxtaposition entre un sapin, qui évoque plutôt l’hiver et un parasol. Fait-il beau d’ailleurs? La planète qui semble éclairer la scène (en lieu et place du soleil mais reconnaissable à son anneau) permet de le penser.
Mais alors, pourquoi le personnage porte-t-il des moufles?
Ouvrons le pour en savoir plus.
L’histoire est simple : Thomas, 6 ans, est en vacances avec ses parents. Il s’éclipse alors que ses parents se sont endormis, se promène puis s’égare. Le texte est rythmé et rimé.
Il offre donc déjà un point de réassurance pour les enfants : ils attendent la rime, ce qui leur permet d’anticiper sur le récit. Le ton général est léger et peu inquiétant.
L’image apporte quelques précisions de contexte : les protagonistes arrivent en voiture au bord de la mer. C’est l’été, les gens se baignent. Pour la plupart des lecteurs, cet univers est connu, donc sécurisant. Quant Thomas réalise qu’il est perdu, l’inquiétude est de courte durée. Très vite, il trouve un livre, l’ouvre, et nous plongeons avec lui dans un nouveau récit.
C’est l’histoire de Thomas, 6 ans, en vacances avec ses parents, qui s’éclipse alors que ses parents se sont endormis…
Les enfants repèrent très vite la répétition. Eux qui sont déjà des experts en lecture de l’image vont pouvoir ici s’y consacrer, puisque le texte est déjà connu. Ils se rendent alors compte que cette histoire n’est pas la même que la précédente, puisqu’il fait froid, que les parents sont endormis dans un chalet et non à l’extérieur. Ils ont un grand plaisir à savoir en avance ce qui va arriver au personnage. Puis de nouveau, Thomas s’égare et trouve un livre par terre.
Il l’ouvre et y découvre l’histoire de Thomas, 6 ans, en vacances…
Mais cette fois, on sort du livre purement miroir qui permet au lecteur de revivre une situation déjà éprouvée. Nous sommes maintenant dans l’espace, les personnages portent des combinaisons et côtoient des robots. Un monde inconnu des enfants, mais dont ils ont sans doute déjà des représentations à travers d’autres ouvrages. Et surtout, ils retrouvent une fois de plus exactement les même mots que dans les deux premières histoires.
Par sa forme de récit enchâssé, à la façon des poupées gigognes, cet album permet aux enfants de vivre, à trois reprises, l’expérience de la perte des parents, sans que cela ne génère d’inquiétude chez eux.
Le dénouement, évidemment heureux, est également répété trois fois, pour le plus grand plaisir des jeunes lecteurs. Quand on le lit à haute voix, le texte est très agréable et sa répétition permet de faire varier les intonations. Et le plus souvent, bien que l’histoire se soit déjà répétée, les enfants nous demandent de la relire à peine l’album terminé.
Chloé Seguret, lectrice formatrice