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Les livres sont-ils des produits de saison ?

Il y a de quoi se poser la question lorsque l’on examine les rayons des librairies ou les listes des emprunts en bibliothèque en fonction de la période de l’année.
Les livres de Noël sont sortis vers le mois de novembre, parfois même avant, mais ils sont tout aussi promptement relégués en réserve dès le mois de janvier.
C’est qu’il faut faire de la place pour les albums sur la galette, rares, certes, mais très prisés en début d’année. Viennent ensuite ceux sur le carnaval, puis le chocolat ou les lapins, les vacances, enfin les livres qui font peur, pour accompagner la période d’Halloween, et c’est reparti pour un tour.

Les livres sont-ils des produits de saison

Parallèlement à ces événements calendaires, il y a les temps forts de la vie de l’enfant, pour lesquels les adultes (parents et professionnels) cherchent aussi un écho dans les livres.
Ainsi les albums sur l’entrée à l’école sont très prisés au printemps, pour « préparer » l’enfant, en même temps (comme c’est étrange) que ceux sur l’acquisition de la propreté.

Ceux sur le deuil peuvent être demandés toute l’année mais presque exclusivement pour des enfants qui y sont confrontés, tout comme ceux sur la fratrie proposés généralement aux enfants qui devront bientôt accueillir (bon gré mal gré) un puiné. 

Cette saisonnalité est systématiquement induite par les adultes. Mais quel est son but ? Et a-t-elle vraiment du sens pour les enfants ?

Quand on interroge les adultes sur cette pratique, il ressort souvent l’idée que les livres pour enfant sont « de formidables outils » pour obtenir certains comportements des enfants. Ils sont vus comme potentielles sources d’inspiration, et servent à montrer un bon exemple. 

Ils font également office d’amplificateur d’un événement heureux : par exemple pour « entrer dans la magie de noël » ou « anticiper le plaisir des vacances ».
Il y a aussi l’idée de « préparer l’enfant » à un événement, afin de le rendre le plus plaisant possible, ou à tout le moins le rendre moins désagréable, s’agissant par exemple du passage des couches au pot ou du statut d’enfant unique à celui d’aîné. 

On comprend qu’il s’agit à la fois de préoccupations éducatives (tout comme quand on choisit des livres qui portent des valeurs de vivre ensemble, de générosité ou autre) et normatives (montrer qu’il est de bon ton d’accueillir un nouveau-né plutôt que d’essayer de s’en débarrasser). 

Ces livres se veulent aussi « miroir », dans lesquels les enfants pourrons retrouver leurs propres sentiments (réels ou attribués), tout en présentant des héros qui surmontent les difficultés qu’ils rencontrent et adoptent des comportements acceptables.

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Il me semble que c’est une vision assez réductrice de la littérature enfantine et que l’on n’oserait pas agir de même avec celle destinée aux adultes. Serions-nous tentés par exemple d’offrir un roman sur une femme qui divorce mais surmonte cette épreuve avec courage et exemplarité à une amie dans la même situation ? Ou un livre de recettes allégées à un proche entamant un régime ?

Ce serait un manque de tact évident, alors pourquoi montrer à un enfant une histoire où un petit ours parvient parfaitement à aller sur le pot, quand lui-même n’en est pas encore là de son développement ? Ce n’est pas si différent. 

Du côté des enfants, il faut reconnaître qu’ils s’habituent très bien à cette forme de littérature éducative. Désireux de faire plaisir aux adultes, ils sauront montrer qu’ils ont bien compris ce que l’on attend d’eux, de même que quand on le leur demande, ils répètent doctement le bruit que fait tel animal représenté ou la couleur de tel objet. 

Pourtant parfois, on assiste à une résistance de certains enfants. Je me souviens d’un petit garçon qui avait choisi sur mon tapis de livres tous les albums présents sauf 5 d’entre eux : ceux où il était question de petit frère ou de petite sœur. La maman de cet enfant était dans son dernier trimestre de grossesse.
Je doute fort que ce soit un hasard. Puisque le bébé à naître occupait toutes les conversations à la maison, qu’il laisse au moins le temps des histoires à son grand frère ! 

Une autre fois c’est une petite fille qui a brutalement fermé l’album que je lui lisais quand il y a été question de pot, préférant aller jouer.

Sa mère m’a confirmé dans le temps d’échange qui a suivi que, l’entrée à l’école approchant, les couches de sa fille devenaient un problème qui préoccupait beaucoup la famille. 

Ainsi, les enfants sont parfois capables de refuser nos propositions de lectures, et c’est une très bonne chose.

C’est l’occasion pour eux de s’affirmer dans un domaine où il est parfaitement légitime de le faire. 

En revanche, les enfants n’ont pas les moyens d’aller vers des livres que nous ne leur proposons pas. 

Si l’on se contente de livres miroirs, de livres de saison, d’histoires du quotidien, ils passeront à côté de l’énorme richesse de la littérature enfantine. 

Ils ne découvriront pas tous ces livres qui n’ont pas de visées éducatives mais qui ont été écrits pour faire rêver, pour faire découvrir le monde et l’altérité et qui, ce faisant, contribuent à enrichir le monde psychique des enfants. 

À nous donc, la mission de proposer des histoires fantaisistes, destinées au seul amusement des enfants (car faire rire les petits c’est essentiel), ou des histoires dépaysantes (juste pour le plaisir d’être ailleurs), ou émouvantes, ou juste belles.
Il en va de notre professionnalisme, car l’éveil est partie intégrante de nos missions, au même titre que les apprentissages. 

La tendance à présenter des livres en fonction des périodes du calendrier est aussi issue du monde scolaire, qui a légitimité à le faire puisque se repérer dans le temps est au programme de la maternelle. Mais notre mission à nous (j’associe ici les professionnels de l’enfance, les bibliothécaires et autres médiateurs du livre) n’est pas de faire du parascolaire.

Laissons aux enseignants les apprentissages formels et offrons aux tout-petits ce dont ils ont besoin avant trois ans, c’est-à-dire des lectures gratuites, sans objectifs d’apprentissage.

Et ainsi nous redonnons à la littérature pour enfant ses lettres de noblesse et lui rendons sa place de forme artistique, aussi enrichissante que peut l’être la musique ou la peinture. 

 

Chloé Séguret, lectrice-formatrice 

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