Dans ce Rencontre avec nous avons choisi de présenter une éditrice au travail particulier : Sophie Bonnomet, Directrice de la Maison d’Éditions Allez Zou. Elle pense, fabrique et édite des livres en tissu. Son projet initial est de sortir le livre en tissu de son statut de « livre pour bébé » et de proposer un objet culturel avec un contenu élaboré, pensé pour grandir avec les enfants.
Bonjour, merci d’accepter de répondre à nos questions.
Tout d’abord, comment est née l’idée de fabriquer des livres textiles ? Pourquoi des albums en tissu particulièrement?
L’idée a germé dans mon esprit à la naissance de mon fils. Il lui avait été offert un imagier de chez Casterman, dont il était « fou » mais qui a vite montré ses limites.
Cherchant à combler davantage nos échanges autour de cet objet, je me suis mise en quête de lui en trouver d’autres. Le manque de propositions m’a frappée. Et j’ai pris la décision, comme toute maman le ferait si elle en avait les moyens techniques de lui en fabriqué un.
L’aventure est née là, entre les mains de mon fils et les miennes.
Que représentent les albums textiles pour vous ? Est-ce rattaché à un souvenir ?
Je me suis rapprochée de cette matière durant mes études. Titulaire d’un diplôme des métiers d’arts en tapisserie d’ameublement, et d’un DNSEP photographie, vidéo et éditions, Allez-zou est l’heureux point de rencontre de l’ensemble des éléments constitutifs de mon propre parcours artistique.
Si je remonte plus loin dans mes souvenirs, je n’avais pas de doudou en particulier étant petite, seulement un morceau de tissu.
Une chute d’un vêtement de famille que j’ai gardé très longtemps. Je crois que j’ai à cœur de redonner une place au sens du toucher dans nos échanges intergénérationnels, que nous avons, avec le temps et les incidences de ces dernières années, tendance à éviter. Alors même qu’il est indispensable à notre développement et notre sensibilité.
Étant donné les différents livres de poésie, de recettes de cuisine, imagiers de la nature du catalogue d’Allez Zou, quelle place accordez-vous à la transmission dans vos livres ?
Elle y a bien entendu une part très importante. Ces livres sont selon moi des objets à partager. Ce sont des livres pour tisser des liens, la transmission en fait conséquemment partie.
Pouvez-vous expliquer votre façon de concevoir un livre, de l’idée de départ à la conception finale ?
Mon processus, ne diffère que peu, à l’image de l’édition sur papier. Je reçois textes et images, numérisées ou non. Nous choisissons un format, un support, et je constitue une maquette en ce sens. Ce qui est particulièrement différent, c’est d’avoir l’entière responsabilité de la chaîne. La lenteur de production qui en découle est selon moi une chance inespérée. Parce qu’elle fédère l’approfondissement des projets de façon cohérente et réfléchie. Que je vis chaque livre produit avec la même intensité que le précédent, à travers sa matière. Et que, dans le cadre d’une production modérée, j’ai le bonheur de savoir que chacun d’entre eux ont une destinée.
Dans votre catalogue, il y a des albums illustrés par différents illustrateurs. Comment travaillez-vous avec eux ? Est-ce vous qui lancez le projet au départ et contactez les illustrateurs ?
Au démarrage, j’ai utilisé ma propre « matière » artistique. Je n’envisageais de faire appel à des artistes qu’une fois certaines réponses établies. Quelle serait la place de cet objet dans le monde de l’édition ? Je me devais de déterminer si ce besoin que je rencontrais était lié à moi seule, ou si d’autres personnes pouvaient également avoir ce souhait. Ce n’est qu’une fois cette réponse en tête que je me suis rapprochée d’Eléa Dos Santos afin de réaliser un premier ouvrage narratif en double-pages. J’ai été l’initiatrice de la plupart des ouvrages édités jusqu’à ce jour. Aujourd’hui, les choses ont progressivement évolué, et je reçois de temps en temps des projets. Mais la première question à laquelle nous devons répondre est de savoir pourquoi sur textile !
Vu que vous éditez également des jeux en bois et en tissu, et considérant l’aspect ludique de certains de vos livres comme L’Arbre, vous sentez-vous attirée par le concept de « livre-jeu » ? Avez-vous des projets en ce sens ?
J’ai lancé les éditions Allez-zou en 2019, la présence des jeux est liée à une très grande gourmandise d’expérimentation, et l’espace-temps laissé par le Covid, m’a permis de répondre à celle-ci dans un premier temps. Je les laisse progressivement s’éteindre par manque de temps mais aussi par désir de laisser sa place entière à notre projet éditorial. Les livres d’éveils et livres jeux ne font pas partie de mes objectifs. Même si parfois la frontière peut paraître mince.
Vous accordez une place importante à l’impact écologique de vos livres. Pouvez-vous en donner les raisons, et jusqu’où pensez-vous ces livres « écologiques ? (encre, tissu boites…)
Si j’ai fait le choix d’imprimer moi-même les livres que nous éditons, c’est parce qu’aucune structure en France ne répondait à mes besoins. Il fallait produire beaucoup et je voulais choisir mes supports.
La croissance d’Allez-zou est aussi douce que ma façon de produire et je préfère cette évolution constante et lente à la destruction massive. Nous souhaitons créer de l’attachement. Que ces objets dont l’achat mérite réflexion, soient conservés et transmis, comme le précieux témoignage des souvenirs de l’enfance. Le choix des encres et des tissus devait entrer en parfaite cohérence avec ces mêmes valeurs. Les boites que j’espère progressivement supprimer, au profit d’autres solutions, sont en constante évolution.
J’espère pouvoir prochainement proposer le zéro papier !
Pour conclure cette interview, nous aimons bien demander quel livre vous a marqué dans votre enfance ?
Un livre que j’ai choisi dans des conditions émotionnelles très particulières et que j’ai lu sans m’arrêter. Moudaïna d’André Clair.
Merci beaucoup pour vos réponses.
Propos recueillis par Céline Mizier, lectrice formatrice