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Rencontre avec Laura Vallet

Cette année, la bibliothèque Fessart a fêté ses 100 ans, et à cette occasion une exposition a été organisée.
Pour remonter aux origines de sa création mais aussi pour mieux comprendre son fonctionnement dans les années 30, l’équipe a trouvé, analysé et mis en ordre de très nombreuses archives.
Aujourd’hui, nous rencontres Laura Vallet, bibliothécaire qui a largement participé aux recherches et à la création de l’exposition.
Laura, peux-tu nous parler de ce travail de recherche ?

Laura Vallet racontant pour les 100 ans de la bibliothèque Fessart, habillée à la mode des années 30
Laura Vallet lors de l'heure du conte pour l'anniversaire de la bibliothèque.

Au départ on a cherché des renseignements sur la création de la bibliothèque. On savait qu’elle avait été créée par le Comité Américain des Régions Dévastées (CRAD) alors on est partis sur les traces de ce collectif, au musée américain de Blérancourt. On y a trouvé de nombreuses photos de l’origine de la bibliothèque, car le CARD avait la volonté de documenter son action.
Le travail de fourmi a été d’identifier les lieux, les personnes etc. C’était passionnant.

Nous avons rapidement sollicité Vivianne Ezratty (ex conservatrice de la bib heure joyeuse) qui était déjà experte de l’histoire des bibliothèques de cette époque, ainsi que l’American Library in Paris.

Quant aux archives de la bibliothèque elle-même, elles ont été transférées aux archives de Paris. Quand nous sommes allées les consulter nous avons été émerveillées par la variété de ce qu’on y a trouvé, cela allait de dessins d’enfants des années 30 à un dessin original de Jean de Brunoff, mais aussi des rapports d’activité, des fiches de paye, des factures de charbon, etc. Cela nous a permis de nous faire une idée du quotidien de la bibliothèque à différentes époques.

Viviane Ezratty nous a mis sur la piste d’une bibliothécaire en particulier, Jaqueline Dreyfus-Weill, qui a été formée à l’Heure Joyeuse et a travaillé à Fessart dans les années 30. Tout ses écrits professionnels ont été confiés aux archives de l’Heure joyeuse, nous avons pu les consulter et créer des liens avec des travaux d’enfants qui avaient été conservés aux archives de Paris, en concluant que c’est elle qui avait organisé ces ateliers.

Vous avez notamment trouvé des comptes rendus d’heures du conte de l’époque…

Jaqueline Dreyfus-Weill, qui était une bibliothécaire jeunesse, en organisait une par semaine et, comme elle l’avait appris à l’heure joyeuse, elle faisait systématiquement un compte rendu où elle indiquait ce qu’elle avait raconté, le nombre et l’âge des enfants qui avaient assisté à la séance mais aussi de nombreux détails sur l’organisation matérielle, les réactions de enfants et même un regard critique sur sa propre prestation.

Tu m’as confié que les archives concernant les heures du conte t’avaient fortement fait penser au travail que tu as connu dès ton arrivée en section jeunesse avec le partenariat avec des lectrices de LIRE, tu peux nous dire en quoi ?

Quand je suis arrivée en bib jeunesse, j’ai été formée par deux lectrices de l’association (Christelle Haussin et Séverine Gaudré) entre autres à la pratique de l’observation et au fait de faire un compte rendu à la fin de chaque séance.

Voir qu’il y avait déjà cette attention portée aux réactions des enfants il y a 90 ans, que c’était déjà jugé suffisamment important pour être noté m’a intéressée et m’a touchée, d’autant que cela s’est fait là où, aujourd’hui encore, je raconte des histoires.

L’autre point commun c’est qu’on peut suivre des enfants sur une longue période, on peut les voir évoluer dans leurs attitudes d’écoutes et leurs réactions.

Mais il y a aussi des différences : les enfants étaient bcp plus grands (une dizaine d’années, pour s’inscrire à la bibliothèque à l’ »poque il fallait être capable de signer soi-même le registre) et ce n’était pas de la lecture mais du conte, la question du rapport à l’objet livre qui est prégnante aujourd’hui n’apparaît donc pas.

Dans les comptes rendus que je fais avec L.I.R.E, il est rare qu’on interroge notre état d’esprit et l’impact que ça a eu sur notre pratique. 

Par ex, Jacqueline Dreyfus-Weill dit parfois « j’étais épuisée et cela a eu de grosses conséquences sur ma façon de raconter »

Est-ce que la différence tient au fait de rédiger nos observations à plusieurs ? Et qu’elles soient destinées à être partagées ? Alors qu’à l’époque les notes n’étaient pas destinées à être diffusées ou étudiées ?

C’est un sujet qui mérite que l’on continue à y réfléchir ensemble… D’autre différences entre la pratique à l’époque et aujourd’hui ?

L’autre grande différence, c’est le collectif, Jacqueline Dreyfus-Weill n’était pas du tout dans la lecture individualisée.

Tu as aussi été frappée de constater que les grandes questions des bibliothèques aujourd’hui étaient déjà présents à l’époque.


Ce qui m’a marqué c’est le désir de faire de la bibliothèque un lieu convivial, ouvert à tous, avec une attention portée à la décoration du lieux (par exemple il y avait un budget fleurs toutes les semaines) mais aussi au confort : il fallait qu’il y fasse chaud, dans un quartier ouvrier où les habitants n’avaient pas toujours les moyens de chauffer correctement leur logement.
Jacqueline Dreyfus-Weill explique aussi dans ses écrits que les enfants de toutes les classes sociales doivent être accueillis à la bibliothèque, ce qui reste une priorité aujourd’hui.

Jessi Carson, bibliothécaire américaine à l’initiative de la création des bibliothèques du CARD, évoque aussi l’accueil des adolescents et ses spécificités.

C’est moins une bibliothèque au sens habituel du mot qu’un foyer, où l’on vient passer à lire une après-midi de loisirs, ou finir une rude soirée. Les tables de lecture sont là, avec les revues, les journaux… Le cadre est agréable : quelques fleurs, des reproductions de tableaux, et surtout une bonne atmosphère d’intimité et de grande politesse, créée par les maîtresses de la maison, à laquelle chacun est sensible.

L'intérieur de la bibliothèque Fessart en 1922

A l’heure joyeuse à l’époque il y avait des heures du conte en extérieur, pour aller à la rencontre des publics qui ne venaient pas à la bibliothèque, la démarche est très proche de bibliothèques hors les murs d’aujourd’hui.

Oui, ils le faisaient aussi dans l’Aine, où le CARD sa mis en place les premières bibliothèques (dont certaines itinérantes, bien avant les bibliobus !), à ma connaissance cela n’a pas été fait à Fessart à l’époque. Mais aujourd’hui nous le faisons régulièrement !

Une autre préoccupation qui est très actuelle et qui était déjà là à l’époque, c’est de faire de la bibliothèque un lieu de vie et de partage, par exemple la participation des usagers étaient déjà dans les pratiques.

Quand Jacqueline Dreyfus-Weill fait une expo sur les poupées du monde en1935 elle propose aux enfants de réaliser le catalogue de l’expo : Ils identifient l’origine des poupées, rédigent les cartels, dessinent les différentes poupées et leurs costumes etc.

Tout cela montre une réflexion professionnelle qui est encore en cours aujourd’hui.

Outre l’exposition, votre travail a donné lieu à une soirée de conférence et sera concrétisé par un changement de nom de la bibliothèque, qui sera rebaptisée Bibliothèque Jacqueline Dreyfus-Weill. La demande de changer de nom, soutenue par la mairie d’arrondissement, a été demandée par l’équipe de la bibliothèque, pourquoi est-ce important pour vous ?

Nous avions la volonté de rendre hommage à une bibliothécaire méconnue jusque là qui a pourtant été pionnière dans la création de bibliothèque enfantine et qui a aussi été une victime de la Shoah, et morte en déportation, ce qui rend le devoir de mémoire d’autant plus important. 

D’ailleurs le changement de nom sera officialisé lors du mois des mémoires.

C’est une façon de continuer à faire vivre et à mettre en valeur cette histoire qui est passionnante et méconnue.

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.

L’exposition est visible à la bibliothèque Fessart jusqu à fin décembre. Pour compléter, le catalogue de l’exposition est en ligne ici

Propos recueillis par Chloé Seguret, lectrice formatrice

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