Depuis plusieurs années, les lecteurs de LIRE interviennent dans les pouponnières des foyers de l’enfance parisiens. Il s’agit de mener des séances de lecture dans les lieux de vie des enfants qui y sont placés, et dans les salons de visites, où les parents viennent rencontrer leurs enfants.
Le 12 juin 2019, la pouponnière du foyer de l’enfance des Recollets, organisait une rencontre parents/enfants autour de la lecture. Tous les parents qui fréquentent le salon de visite avec leurs enfants, étaient invités à partager un temps convivial autour des livres, animé par la lectrice que beaucoup d’entre eux connaissent déjà.
Elle fait le récit de cette matinée :
Ce matin-là, la grande salle était joliment décorée. L’équipe de la pouponnière avait disposé des affiches de livres sur les murs, et imprimé des messages pour renseigner les parents sur les bienfaits de la lecture avec leurs enfants.
Pour favoriser la rencontre avec les livres, je les installe un peu partout : sur les accoudoirs des fauteuils pour adultes, les tables basses, les tapis pour bébés, mais aussi dans le coin dînette ou sur la structure motrice.
A la demande de la responsable de la pouponnière, j’ai également apporté une documentation sur les bibliothèques parisiennes, une petite bibliographie pour aider les parents dans leurs choix et le petit guide « lire à mon bébé ».
Tout est prêt, les parents peuvent arriver.
Lorsqu’ils entrent dans la pièce, je salue ceux qui me connaissent déjà et je me présente aux autres.
On échange quelques mots en attendant que les professionnelles nous rejoignent avec leurs enfants.
Au moment des retrouvailles, je reste en retrait, et j’en profite pour préparer mes livres :
Tiens, Aïcha[1] est là ? Elle avait bien aimé les livres de la série des papa[2] la dernière fois, je vais donc sortir « papa pique » et « papa se rase ».
Pour ce petit garçon de 3 ans, que je ne connais pas encore, peut-être des imagiers, et pour les jumeaux Luc et Lucas, des livres avec des loups, ils en sont friands. Et bien sûr, pour tous des comptines et des chansons en quantité, ce sont généralement des livres qui font l’unanimité.
Rapidement, chacun s’installe, les canapés qui entourent le tapis des bébés sont investis, les enfants sur les genoux de leurs parents. Les lectures peuvent commencer.
Les parents d’Aïcha (3 ans) sont venus tous les deux et ils ont amené des livres pour leur fille. Je discute avec eux, je regarde les livres qu’ils ont apportés, je leur fais remarquer qu’il y en a que je ne connais pas et que c’est chouette pour moi de découvrir de nouveaux titres. Je parle aussi des bibliothèques, ils me disent qu’ils n’habitent pas à Paris mais que dans leur ville, il y en a une aussi, et qu’ils y vont parfois. Je leur donne la petite bibliographie. Les adresses des bibliothèques parisiennes, ils n’en ont pas vraiment besoin, mais je leur donne quand-même : il y a une bibliothèque à deux pas de la pouponnière, ils pourront y faire un tour à l’occasion. Quant au guide du bébé lecteur, je fais remarquer qu’il ne concerne pas vraiment Aïcha. A 3 ans, elle est déjà très lectrice et il est rare qu’elle s’éloigne pendant la lecture ou mordille le livre. Le père est content : « Ah oui, c’est vrai, vous avez remarqué comme elle peut être concentrée quand on lui montre un livre ? »
Aïcha nous écoute. Après avoir donné les documents à ses parents, je prends un des livres qu’ils ont apportés et le feuillette, puis je le lui tends : « Tu veux le regarder ? Avec tes parents peut-être ? » Elle s’installe entre ses deux parents. C’est sa mère qui lit à voix haute. Je reste tout près, je souris à la mère quand elle m’adresse des coups d’œil pendant la lecture. J’écoute l’histoire jusqu’à la fin, puis je remercie la mère : c’est très agréable pour moi d’écouter une histoire, pour une fois que les rôles s’inversent ! Elle me rend mon sourire, amusée, puis enchaîne sur une autre lecture avec sa fille.
Je m’éloigne pour aller vers une autre famille.
Aroun, 3 ans, est collé contre les genoux de son père. Je ne les connais ni l’un ni l’autre. Je m’approche, pas trop près, et je tends vers lui le livre « Joyeux anniversaire » [3] en lui proposant de le lui lire. Il me répond, fermement « non » puis, comme je reste face à lui, le livre tendu dans sa direction, il répète « non, c’est papa ! » en prenant le livre.
Il met le livre dans les mains de son père, qui ne semble pas savoir qu’en faire. Je lui dis « si tu veux, je te le lis ici, tu restes avec ton papa » mais une fois de plus il me répond « non ».
Alors je m’éloigne.
La petite Alice, deux mois, est également accompagnée de son papa.
Je ne connais encore ni le bébé ni le père, je vais donc vers eux avec un livre à la main et mon plus beau sourire à la bouche. Je lui demande s’il a déjà montré un livre ou chanté une chanson à son bébé. Lu non, mais chanté, oui ! Ça tombe bien, j’ai pris « Bateau sur l’eau » [4]. Je commence à chanter. La petite regarde le livre, puis mon visage. Elle est très calme, dans les bras de son père. Quand son regard se met à papillonner autour de la salle, alors que la chanson n’est pas terminée, son père lui murmure : « écoute », en tapotant le livre des doigts. Je souris. Je termine la lecture puis je lui dis que les bébés parfois écoutent en regardant ailleurs, ou peut-être qu’ils n’écoutent plus mais que ce n’est pas grave, ce qui compte c’est de passer un bon moment. Je lui montre le petit guide. On regarde ensemble les photos, on fait les commentaires. Il dit qu’Alice ne met pas les choses dans la bouche « sauf ses mains ». Oui, elle est trop petite encore, mais ça va sûrement venir, beaucoup d’enfants le font. Je lui donne également les deux autres documents et je le laisse, Alice semble fatiguée. (Quelques minutes plus tard, je remarquerai qu’elle s’est endormie dans les bras de son père)
Luc et Lucas (deux ans et demis) sont accompagnés d’une professionnelle de la structure. Leur mère n’a pas pu venir, mais comme ils sont familiers du salon de visite, ils ont été conviés à participer à ce moment. La professionnelle leur à lu beaucoup de livres, je prends un moment pour prendre le relais. Avec eux, c’est facile, ils sont de gros lecteurs. Ils choisissent des livres, les écoutent ensemble ou chacun leur tour, ils savent qu’ils ne sont pas obligés d’être attentifs jusqu’au bout et s’ils veulent passer à autre chose ils ne s’en privent pas. Luc me demande de lui relire « Au secours voilà le loup » à plusieurs reprises, son plaisir grandissant au fil des lectures. Son frère écoute parfois avec nous. Au bout d’un moment, je lui propose de regarder le livre tout seul, ou de demander à la professionnelle qui les a accompagnés de le lui lire : Je voudrais revenir vers Aroun et son père.
Ils sont toujours installés au même endroit. Pendant toutes mes interactions avec d’autres familles, le père de Aroun m’a observé. Je me dis qu’il est important que je lui transmette les mêmes informations qu’aux autres parents. Me revoilà donc devant lui, avec mes documents à la main. Manifestement, il n’est pas très à l’aise avec la langue française et n’a pas du tout les codes de l’écrit.
Je commence donc par le guide du bébé lecteur en essayant d’expliquer ce qu’il y a dedans, en m’appuyant sur les photos. Il m’écoute avec attention, hoche la tête. Je ne veux pas le mettre en difficulté, je décide donc de me contenter des informations essentielles : c’est chouette de regarder un livre avec son enfant, et ça ne demande aucune compétence particulière. Il a l’air d’approuver. Je lui propose alors « Le grand imagier photo des petits » [5] . Il l’ouvre, au hasard, et tombe sur le chapitre consacré aux animaux. Il désigne un animal du doigt, regarde son fils qui dit « mouton ? » Le père répète « Mouton ? » en me regardant. Je jette un œil « ah, non, ce n’est pas un mouton ». Aroun montre que l’animal est dans l’eau. Il pointe l’eau et dit à son père « canard ? » Le père, à nouveau, m’interroge du regard « non, ce n’est pas non plus un canard, c’est un hippopotame ». Ah, d’accord, hippopotame, père et fils répètent le mot qu’ils ne connaissaient pas en français. Puis le père tourne les pages. Ensemble, ils regardent plusieurs animaux, et soudain le père s’arrête et pointe un animal en se tournant vers moi : « ça, canard ? » « Non, c’est une tortue, ça vit dans l’eau aussi ».
Je laisse Aroun et son père poursuivre leur exploration de cet imagier, alors que je vais lire à d’autres enfants, je vois du coin de l’œil qu’ils passent un long moment ensemble à regarder les animaux et émettre des hypothèses sur le nom de chacun. L’équipe m’a confié que c’était la première fois qu’ils partageaient un moment de lecture tous les deux. J’espère que ce ne sera pas la dernière et j’attends avec impatience de les voir de nouveau au salon de visite, pour poursuivre ce qui a été commencé ce jour-là.
Beaucoup d’autres lectures ont eu lieu ce matin-là. Parfois, comme avec Aroun et son père, ma présence a été nécessaire et d’autre fois pas du tout , comme par exemple, la maman d’Inès (3 ans) qui a apporté des livres et les a lu longuement à sa fille.
Les parents de Nina-Claire, (9 mois) ont découvert avec grand plaisir que leur petite appréciait écouter des chansons et qu’elle regardait avidement les images des livres.
Le petit Sasha, (10 mois), dont les parents n’ont pas pu venir, a également bénéficié de temps de lectures avec moi ou les professionnelles de la structure, entrecoupés de moments de jeu.
Le double objectif est atteint : les parents et les enfants ont passé un moment agréable et convivial, cette rencontre a renforcé l’encrage du livre dans la relation entre les parents et leurs enfants.
Chloé Seguret, lectrice formatrice
[1] Tous les prénoms des enfants ont été changés
[2] « Papa Pique » « Papa docteur » Alain Le Seau, école des loisirs
[3] “Joyeux anniversaire” C. Nakagawa J. Koyose Rue du monde
[4]“Bateau sur l’eau”, Martine Bourre, Didier jeunesse
[5] « Le grand imagier photo des petits », Coll Larousse