“Le partenariat entre l’association L.I.R.E. à Paris et la pouponnière MELINGUE[2] s’est mis en place il y a environ quinze ans maintenant.
Nous constatons dès lors de nombreux bénéfices auprès des enfants accueillis.
L’une des spécificités de l’association, la lecture individualisée aux tout- petits, nous semble particulièrement adaptée à notre collectivité.
Nous observons par exemple, dans ce cadre, de tout jeunes enfants –parfois âgés de quelques semaines- réagir aux interventions des deux lectrices de l’association : leurs corps s’animent en signe de contentement, ils peuvent se mettre à babiller. Nous les observons regarder en alternance le visage de la lectrice, les illustrations, chercher du regard leurs auxiliaires parfois… Ces manifestations sont pour nous précieuses car pour certains de ces petits, elles s’inscrivent dans un contexte où l’enfant peut, par ailleurs, montrer des difficultés à entrer en relation et présenter une forme de repli, particulièrement préjudiciable à son bon développement.
Lors de ces premières semaines, cette intervention nous semble particulièrement riche en terme de soutien de leur développement sensori-moteur : écouter (les bébés sont très sensibles au plaisir du rythme), regarder, goûter, sentir aussi parfois… Si le livre permet à l’enfant de découvrir ce qui l’entoure (en « nommant le monde »), il lui permet en premier lieu de se connaître lui-même et de percevoir l’effet de ses premières actions. Sur un plan cognitif, cet aspect nous semble précieux ; le jeune enfant pourra ainsi, progressivement, commencer à appréhender que s’il froisse une page, elle peut se déchirer par exemple.
Ces manipulations, de façon plus générale, lui permettront d’investir et de s’approprier « l’objet livre », si précieux pour toutes les connaissances (scolaires et personnelles) qu’il élaborera plus tard.
Les interventions de nos deux lectrices de L.I.R.E. à Paris encouragent l’expression verbale des enfants que nous accueillons bien sûr mais aussi leur capacité à exprimer leur curiosité et leur volonté. L’observation fine des lectrices révèle les capacités naissantes d’un enfant, même tout petit, à exprimer ses goûts : une animation particulière de ses membres, de sa bouche, un froncement de sourcils… Progressivement, les enfants vont être en mesure de formuler plus directement des demandes à l’adulte (en tendant le livre pour qu’il lui raconte), montrent leurs préférences en choisissant un ouvrage plutôt qu’un autre… Il est vraisemblable que ces choix sont guidés par des enjeux très personnels : le plaisir du rythme et des mots, l’intérêt des illustrations mais aussi, progressivement, la résonance par rapport à leurs propres préoccupations intérieures (« maman », « papa », la séparation, le ‘‘doudou’’, l’acquisition de la propreté, etc.). Cet aspect nous semble particulièrement important pour permettre à l’enfant d’élaborer psychiquement ce qu’il vit chez nous : exprimer ses émotions pour mieux s’en distancier, et par là même, devenir progressivement acteur de son parcours de vie.
Le positionnement de nos deux lectrices de L.I.R.E. à Paris offre un cadre sécurisant particulièrement contenant pour les enfants dont nous nous occupons. A travers la liberté de manipulation offerte aux enfants, dans le cadre du respect du livre, l’enfant nous semble appréhender le cadre même de ce qu’est l’autonomie : expérimenter par soi même, tout en intégrant progressivement les règles qui sont associées à cette activité. Cet aspect, s’il se met en place ici, nous semble véritablement porteur du « vivre ensemble » que nous souhaitons défendre pour les enfants que nous accueillons (et pour les adultes qu’ils seront plus tard).
L’attention individualisée apportée par nos deux lectrices de L.I.R.E. à Paris est pour nous très importante. Cette attention se concrétise par des observations écrites, qu’elles consignent dans un cahier mis à la disposition des équipes. Ces observations nous offrent alors la possibilité de proposer à nouveau aux enfants, dans l’après coup des visites des lectrices, telle ou telle lecture qu’ils auraient particulièrement appréciée. Cette action nourrit le sentiment de continuité psychique dont chaque enfant a besoin, et qui prend une importance singulière dans le cadre d’accueil qui est le notre (l’accueil de jeunes enfants séparés précocément de leurs familles). En retrouvant auprès d’un professionnel de la pouponnière, une histoire connue découverte auprès d’une lectrice, l’enfant retrouve à la fois du « connu » (à travers l’histoire qui ne change pas) mais aussi du « différent » (un autre adulte, des intonations et des façons parfois différentes de raconter l’histoire, etc.). Cet aspect nous semble également riche en termes de prise en compte de l’altérité et de la diversité, qui fonde le « vivre ensemble ».
En lien, le cadre individuel des lectures proposées par l’association nous semble aussi porteur de cette prise de conscience de « l’autre », différent, ainsi que du plaisir à le rejoindre autour de ce moment partagé. Si ces temps permettent à chaque enfant, en premier lieu, de bénéficier d’un moment individualisé au sein de la collectivité, ils lui permettent aussi, progressivement, d’appréhender le partage (à travers la notion de « chacun son tour ») et le respect de l’activité d’autrui. L’enfant doit en effet patienter pour une lecture quand la lectrice est déjà engagée auprès d’un autre enfant. Mais il a la possibilité de profiter de cette lecture à proximité (dans le respect du moment) ou à distance (s’il choisit de s’écarter pour aller jouer…). Il nous semble ainsi que ces temps viennent aussi nourrir le développement social des enfants, à travers le plaisir à « être ensemble ». Nous observons par exemple des enfants se racontant des histoires les uns aux autres, se ‘‘reconnaissant’’ dans les illustrations, etc.
L’intervention de nos deux lectrices de L.I.R.E. à Paris nous semble, enfin, particulièrement importante en termes d’appropriation du langage et de capacité à le déployer de façon créative. Les retours des thérapeutes ayant accompagné les enfants que nous accueillons –ou avons accueillis- soulignent régulièrement la finesse d’expression (en particulier émotionnelle) dont ils sont capables.
Pour les équipes enfin, l’intervention de l’association est particulièrement précieuse car elle a largement nourri notre réflexion sur l’intérêt du livre pour l’enfant ; elle nous a, plus concrètement, largement permis d’enrichir nos pratiques.
Aussi, nous remercions l’association pour la richesse de son intervention et souhaitons vivement pouvoir continuer à en bénéficier.”
Bilan rédigé par Aline Châtelet, éducatrice de jeunes enfants avec la collaboration de toute l’équipe de la pouponnière en mars 2015.
[1] Pouponnière Mélingue : 22 rue Levert 75020 PARIS
[2]– Notre institution accueille des enfants de moins de trois ans, séparés de leur famille.